Publié le 25/05/2020 sur le site
consultation.avocat.fr
Par Me Quentin
MUGNIER
Depuis le début du confinement, les
assureurs se sont efforcés de convaincre les professionnels que
les pertes d'exploitation liées au coronavirus ne
pouvaient être indemnisées. Dernièrement, le gouvernement n’avait visiblement pas le même son de cloche à l’heure où Bruno LE MAIRE prenait soin de rappeler que le gouvernement veillerait à ce que « les assureurs respectent les clauses de pertes d'exploitation ». Le 22 mai 2020, le Tribunal de commerce de Paris a donné raison à un restaurateur parisien, Monsieur Stéphane MANIGOLD, qui a assigné son assureur AXA FRANCE en référé après le refus de ce dernier d'indemniser les pertes d'exploitation d'un de ses établissements, fermé dans le cadre de la crise sanitaire. La presse s’est immédiatement emparée de cette affaire
pour clamer haut et fort que la brèche judiciaire était désormais ouverte pour
les restaurateurs.
"Ensemble nous allons gagner"
Fort de sa victoire, le restaurateur en question n’a
pas hésité à brandir un « ensemble nous allons gagner »
audacieux à destination de la confrérie hôtelière, ce qui était largement
diffusé sur les réseaux sociaux.
La compagnie AXA FRANCE, sentant la menace grandir,
indiquait immédiatement par le bais de sa « Directrice Influence &
Réputation » qu’elle ferait appel de cette décision « provisoire »,
et « prise dans l’urgence», en précisant habillement, pour éviter
l’épidémie de contestation à venir, que « le cas de Monsieur Manigold
concern(ait) un contrat spécifique souscrit par quelques centaines de
professionnels de la restauration » seulement.
Qu’en est-il alors réellement de l’obligation
pesant sur les assureurs au titre des pertes d’exploitation des commerçants au
cours de cette épidémie ?
Tout d’abord, la perte d’exploitation fait
généralement l’objet d’une police d’assurance spécifique prenant souvent place
dans une assurance multirisque professionnelle où elle est, en général,
proposée en tant que garantie complémentaire.
C’est principalement ce type de garantie qui est en
cause à l’occasion de la crise sanitaire mais il apparaît qu’elle n’est pas
toujours souscrite par les commerçants, et que quand bien même elle l’aurait
été, la compagnie d’assurance objectera bien souvent à son assuré, soit le fait
que le sinistre en question n’est pas compris dans le périmètre de la garantie
(1), soit encore l’existence d’une clause d’exclusion (2).
1/ Sur la définition du socle de la garantie, l’assureur
tentera, si le contrat le lui permet, d’invoquer le fait que l'assurance
« pertes d'exploitation » en tant qu’assurance de dommages,
suppose que les pertes financières soient associées à un dommage
direct à un bien, comme cela peut être le cas d’un incendie, ou d’une
inondation, à l’inverse d’une pandémie, ou encore de la crise dite « des
gilets jaunes », qui n’affecte pas directement un bien (sauf vandalisme)
mais l’activité économique de l’entreprise.
2/ Dans l’hypothèse où la
garantie pertes d’exploitation serait prévue au contrat, et
qu’elle pourrait s’appliquer sans dommage préexistant causé à un bien (en cas
de fermeture administrative par exemple) l’assureur tentera alors d’invoquer
les clauses d’exclusions incorporées au contrat, en affirmant que
les pertes et les fermetures administratives provoquées par les
épidémies ou pandémies sont exclues de sa garantie.
C’est particulièrement dans ce cas que le commerçant
devra faire preuve de la plus grande vigilance puisque la compagnie d’assurance
ne sera pas nécessairement dégagée de son obligation de garantie dès lors que
le Code des assurances pose des conditions strictes relativement à la validité
des clauses d’exclusions.
Ainsi, pour être valable, la clause d’exclusion doit
être formelle et limitée (C. assur., art. L. 113-1) et doit figurer en caractères très apparents dans la police d’assurance (C. assur., art. L. 112-4, al. 3).
Or, il arrive que les clauses invoquées par les
assureurs soient trop générales et imprécises pour être valablement opposées au
commerçant.
Il existe également, en particulier dans la
restauration, des contrats couvrant le risque épidémique et la fermeture
imposée par l’administration en raison de l’existence d’un risque sanitaire ou
hygiénique.
C’est la raison pour laquelle il est important
d’analyser, au cas par cas, les dispositions du contrat d’assurance afin de
vérifier si celui-ci ne contient pas de failles, imprécisions ou extensions, pouvant
permettre une mise en jeu de la garantie pertes d’exploitation.
Tel était le cas du contrat souscrit par Monsieur
MANIGOLD dans l’affaire donnant lieu à l’ordonnance de référé rendue par le
Tribunal de Commerce de PARIS à l’encontre de la compagnie AXA FRANCE.
Dans cette affaire, le contrat d’assurance prévoyait
effectivement la prise en charge des pertes, comme la marge brute ou les
salaires en cas de fermeture imposée.
Contrairement à ce qui a pu être dit dans la presse
ou sur les réseaux sociaux, cette décision ne saurait toutefois avoir une
portée générale, puisque la décision n'est pas définitive, et que chaque
contrat d’assurances comporte ses propres spécificités.
Le recours à un professionnel du droit est donc bien
souvent indispensable pour le commerçant souhaitant connaître l’étendue de ses
droits.
***
Quelques conseils pour les assurés :
1/ Il convient tout d’abord de vérifier si
l’entreprise bénéficie ou non d’une garantie perte d’exploitation en sollicitant si besoin de sa
compagnie d’assurance les conditions particulières et générales du contrat
d’assurance souscrit.
2/ Dans l’affirmative, le premier réflexe est de déclarer
rapidement votre sinistre auprès de votre compagnie d’assurances, par écrit
(lettre RAR ou mail).
3/ Si la garantie est acceptée par l’assureur, le débat portera essentiellement
sur le montant de la perte d’exploitation prise en charge, et il conviendra
dans ce cas de procéder à une analyse du contrat pour connaître le montant
indemnisable, en gardant à l’esprit que votre assureur tentera par tous moyens
de réduire ce montant à la baisse.
Attention : il convient absolument de veiller à
ne pas accepter de signer de quittance de règlement lorsque vous n'êtes
pas d'accord sur le montant de l'indemnité qui vous est proposée par
l'assureur. En effet, une quittance de règlement peut revêtir les formes d'une
transaction qui, en droit, ne pourra plus être remise en cause, même
devant un Tribunal.
4/ Si la
garantie est refusée, il convient alors de faire procéder par un avocat, à l’analyse de votre
contrat afin de vérifier si ce refus est, ou non, justifié. L'enjeu peut
effectivement en valoir la chandelle au vu de l'importance des pertes
occasionnées par la crise sanitaire.